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Le rêve de l’aérotrain fond dans un garage
Conçu par l’ingénieur Bertin dans les années 70, ce train voyageait sur un coussin d’air. Il y a 18 ans, le projet était
abandonné. Le seul exemplaire du véhicule a été détruit par un incendie.
Quand il a visité hier à Chevilly (Loiret) le lieu du sinistre, Roger Boissonnet a pris un sale coup au moral. Tout le
hangar, qui protégeait l’unique exemplaire jamais construit de l’aérotrain, a été complètement détruit dans un incendie
qui s’est déclaré dimanche matin vers 6 heures. L’aérotrain de l’ingénieur Jean Bertin, construit en duralumin, a fondu sur
place. Il n’en reste qu’un bout de cabine de pilotage et l’arrière de l’engin. L’engin n’est plus et les souvenirs ne
peuvent s’accrocher que sur le monorail de béton, qui fend à huit mètres de hauteur la campagne beauceronne sur
18 kilomètres, entre Artenay et Saran, dans la banlieue d’Orléans.
Expérience avortée des années 70, l’aérotrain de Chevilly était l’une des idées les plus achevées de Jean Bertin,
polytechnicien du corps aéronautique, qui avait eu l’idée en 1957 de fonder une société spécialisée dans les
transferts de technologie. L’aérotrain est né au début des années soixante, en pleine vogue des études sur l’aérodynamisme
et sur les fluides. Bertin avait imaginé un train posé sur un coussin d’air de cinq millimètres, épousant un rail en
forme de T inversé et mû par une turbine d’avion. L’aérotrain était conçu comme un moyen de transport suburbain, rapide,
plutôt silencieux, économique. De plus, le rail de béton pouvait passer au dessus des habitations et voies routières.
Après dix ans de travail, une société mixte dans laquelle entraient à 50% des sociétés privées comme les Grands Travaux
de Marseille (GTM), Turbo-Méca, Merlin Gérin ou UTA, décide de la création d’un site d’essai dans le Loiret. A brève
échéance, il est prévu une ligne d’exploitation entre La Défense et Cergy-Pontoise, préférée au projet reliant Orly à
Roissy par Nogent-sur-Marne. Essais concluants : en mars 1974, l’aérotrain pulvérise, avec 428 km/h, le record du monde
de vitesse sur coussin d’air.
« Le projet a bien marché tant que de Gaulle et Pompidou étaient au pouvoir, constate Jean Cayla, un ingénieur qui a
travaillé sur l’invention. Avec Giscard d’Estaing, les opposants à cette invention, des gens dépassés par l’innovation,
ont torpillé l’aérotrain. Le 17 juillet 1974, je me souviens, on a annoncé par téléphone à Bertin la fin de son
invention. Soudain, l’aérotrain était devenu trop cher, trop bruyant et trop gourmand ». Jean Bertin est mort un an plus
tard, à 58 ans, d’une tumeur au cerveau. La société Bertin lui a survécu. Elle emploie aujourd’hui 700
personnes. L’aérotrain, lui , est resté au garage, victime du temps, victime du vandalisme. Les 18 kilomètres de voie sont
toujours là, barrant l’horizon des voyageurs de la ligne Orléans-Paris. Chargée de l’entretien du site, la DDE se contente,
à intervalles réguliers, de nettoyer les graffitis et slogans (généralement anti-avortement) qui y apparaissent régulièrement.
Il existe pourtant des amoureux de l’aérotrain. Il y a trois mois, naissait ainsi l’association pour la réhabilitation de
système aérotrain et des transports innovants (ARSATI). Son président, Michel Guérin, maire communiste de Saran, est aussi
un ancien cheminot. Le secrétaire, Jean Boissonnet, est un ouvrier dont la passion est le modélisme ferroviaire. Il a créé
une maquette au 1/87e de l’engin qu’il expose dans les salons de modélisme.
L’ARSATI voulait exposer l’aérotrain à Saran dans un espace réservé aux projets de transport qui ont été conçus à un
exemplaire avant d’être abandonnés : « L’aérotrain doit être sauvé parce qu’à mon avis cette technique peut-être
reprise, dit Jean Cayla. C’est toujours une solution d’avenir ». Ce projet de sauvegarde avait des opposants, comme ceux
qui veulent voir disparaître la barre de béton très peu esthétique de leur paysage. Ce qui donne une saveur particulière
à l’origine criminel de l’incendie.
Loïc CHAUVEAU
© LIBERATION - 25 mars 1992
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