Voies Ferrées : Septembre - Octobre 1989





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L'AEROTRAIN, 15 ANS APRES

15 ans après sa disparition, le 17 juillet 1974 précisement, date à laquelle le projet de liaison « La Défense-Cergy » est abandonné, l’Aérotrain n’en continue pas moins de susciter un mouvement de curiosité médiatique conduisant les concepteurs, Bertin et Cie à maintenir une veille informelle. Après l’avoir « retrouvé » dans le numéro 51, Olivier Constant a voulu approfondir le sujet.


Genèse de l’Aérotrain

D’aucuns pourraient penser, parmi les habitués de la ligne Paris-Orléans, qu’il n’existe qu’un seul aérotrain, plus connu sous la dénomination type « Orléans ». Or , il n’en est rien, et ce ne sont pas moins de quatre exemplaires dont il nous faut retracer l’historique. En fait, le concept de l’aérotrain remonte à 1957 avec le début des études des coussins d’air chez Bertin et Cie (1). Rondement menés, les travaux conduisent en janvier 1962 à la définition de la conception de l’aérotrain qui n’est autre qu’un aéroglisseur guidé de la même façon qu’il est sustenté, c’est à dire par effet de sol. Trois ans plus tard, alors que les travaux de la voie d’essais de Gometz vont bon train, la phase expérimentale va pouvoir débuter.

La phase expérimentale

Elle concerne deux aérotrains numérotés 01 et 02 à l’échelle ½. Les essais débutent fin 1965 avec le 01 qui est un engin de 2 + 4 places mû par un moteur à hélices. Dès la fin mars 1966, il atteint la vitesse du programme fixé soit 180 km/h. Puis, c’est l’escalade. Toujours équipé de son moteur à hélice et de fusées additionnelles, il atteint 303 km/h le 23 décembre 1966.
Un an plus tard, le 4 décembre 1967, notablement renforcé au point de vue de la propulsion (réacteur Turboméca Marboré de 480 kg de poussée plus 2 fusées à poudre l’une de 1200 kg de poussée, l’autre de 500) il atteint la vitesse record de 345 km/h sur une voie d’essais mesurant à peine 6,7 km. La fin des essais de l’aérotrain 01 intervient dans le courant de l’année 1976 après des investigations utilisant comme moyen de propulsion des roues pressées sur l’élément vertical de la voie.
L’aérotrain 02 est le complément du 01 pour l’exploration des hautes vitesses : 2 places seulement et puissamment motorisé. Réacteur Pratt et Whitney JT12 de 1250 kg, il atteint la vitesse record de 422 km/h le 22 janvier 1969 (avec fusée d’appoint de 500 kg de poussée).

La phase opérationnelle

Construit au Bourget en coopération avec UTA Industries et le SECA, l’aérotrain interurbain I80 type « Orléans » entre en service dès la mi 1969 avec une présentation aux représentants de la presse Française et étrangère au Bourget.

  • Caractéristiques du véhicule « Haute vitesse » I80 HV

Construit en alliage léger.

Longueur hors tout :

30,50 m

Longueur au niveau de la voie :

27,75 m

Largeur :

3,20 m

Hauteur au droit de l’entrée d’air du réacteur :

5,10 m

Capacité :

80 places

Masse totale en charge :

24 tonnes

Vitesse de croisière :

360 km/h

Vitesse maximum :

400 km/h

Distance d’accélération de 0 à 350 km/h :

5 km

Distance de freinage de 350 km/h à 0 :

3500 m

Pendant ce temps, les travaux de la voie d’Orléans débutés en janvier 1968 se poursuivent (longueur totale 18 km). Dès le 13 septembre 1969, l’aérotrain 1re version à hélice carénée conçue par Bertin et construite par Ratier atteint sa vitesse de croisière de 250 km/h sur les 9 km du tronçon Nord de la voie. Dans cette version initiale, l’aérotrain subit des essais intensifs jusqu’à 8 heures par jour, parcourant 59.140 km et transportant 13.013 personnes. Après avoir exploré des vitesses allant jusqu’à 290 km/h, l’aérotrain retourne en janvier 1973 dans les hangars d’UTA industries à l’aéroport de Bourget pour être doté d’un nouveau mode de propulsion « haute vitesse », en l’occurrence un turboréacteur Pratt et Whitney JT 8 D7.

  • Propulsion principale

La propulsion est assurée par un réacteur double flux JT 8D de Pratt et Whitney équipé d’un système d’insonorisation très élaboré par la société Bertin et Cie. Ce système se compose d’une entrée d’air coudée revêtue de matériaux insonorisants et d’une tuyère d’éjection à trompe. Les gaz du turboréacteur (flux primaire et flux secondaire) sont canalisés dans une chambre de mélange équipée d’un cloisonnement radial et revêtue de matériaux insonorisants fabriqués par Stresskin capables de supporter des températures élevées. L’éjection a lieu ensuite grâce à une tuyère en forme de « queue de carpe » avec une forte dilution. L’augmentation de la poussée de cette trompe améliore le bilan global de propulsion en compensant pour la plus grande part les pertes dues aux dispositifs d’insonorisation.

  • Poussée de croisière à 350 km/h : 25000 N
  • Niveau de bruit à 350 km/h à 60 m de l’axe de la voie : 92 décibels
    (A titre de comparaison Boeing 707 au décollage entre 110 et 120 décibels).

  • Propulsion auxiliaire

Inchangée par rapport au véhicule d’origine. A la station de Chevilly une portion de rail vertical longue de 40 m s’escamote, permettant ainsi à l’aérotrain en sustentation d’évoluer hors de sa voie sur une simple aire bétonnée. Il dispose pour ce faire de deux roues rétractables et orientables actionnées par un système hydraulique absorbant une puissance de 40 kW prise sur le turbomoteur Turmastazou XIV de sustentation.

  • Sustentation et guidage

Un turbomoteur Turmastazou XIV à turbine libre de 530 kW entraîne deux ventilateurs axiaux (puissance utilisée 400 kW) qui alimentent 16 coussins d’air répartis par moitié avec la sustentation à l’horizontale et le guidage en vertical. La pression de l’air dans les coussins est inférieure à 42,5 grammes par m².

  • Freinage

Freinage opérationnel par inversion de la poussée du réacteur (reverse) et freinage de précision par un frein mâchoires pinçant le rail vertical. Décélération maximale 0,25 g.

  • Voie

En forme de T inversé, constituée d’éléments de 20 m de long en béton armé et précontraint eux mêmes assemblés en tronçons monoblocs de 120 m de long reposant sur des piliers d’une hauteur de 5 m minimum. Largeur 3,40 m, hauteur du rail de guidage 0,90 m.


Après modifications, l’aérotrain I80 HV 2e version se met à nouveau en piste en septembre 1973. Les records ne sont pas loin. Ainsi le 14 novembre 1973 la vitesse de 400 km/h est atteinte. 3 mois plus tard, tandis que les dernières vapeurs SNCF disparaissent des inventaires, l’aérotrain triomphant poursuit ses allées et venues en vue d’un grand jour (plus de 1400 voyageurs expérimentaux transportés en un peu plus de 100 heures de fonctionnement). Le 5 mars 1974 l’aérotrain établit un nouveau record du monde pour les véhicules terrestres classe L (par catégorie) à la vitesse moyenne de 417,6 km/h sur une distance de 3 km parcourue dans chaque sens (la vitesse de pointe maximum s’établissant à 430,4 km/h). Après l’arrêt de mort signifié le 17 juillet 1974, l’aérotrain poursuit ses présentations jusqu’en 1976 époque à laquelle il cesse de « voler ». Il achève sa carrière après avoir parcouru 9106 km et transporté 2900 personnes à des vitesses comprises entre 350 et 400 km/h.

L'aérotrain suburbain S44

Quelque peu occulté par l’intense activité autour de la base de Chevilly (Orléans), c’est le 4 août 1969 que l’aérotrain suburbain de 44 places quitte son usine de Reischshoffen pour la station d’essais de Gometz la Ville. Il reçoit alors son moteur de propulsion construit par la société le Moteur Linéaire du groupe Merlin Gerin. Le S44, c’est en fait le prototype expérimental des matériels envisagés plus tard pour les liaisons Orly Roissy et La Défense Cergy. Etalée de décembre 1969 à début 1972, l’expérimentation du système de propulsion par moteur électrique linéaire permet au S44 d’atteindre une vitesse de 170 km/h sur sa voie d’essais de 3 km parallèle à celle utilisée pour les prototypes 01 et 02.

Le projet « La Défense Cergy »

Etudié à la place d’un projet de liaison Orly Roissy, à côté d’autres enquêtes préliminaires de desserte de la région du Nord et d’une transversale Européenne (Bruxelles Genève) par aérotrain dite Europole, le projet de construction de la première ligne commerciale d’aérotrain du monde entre le centre d’affaires de Paris la Défense et la ville nouvelle de Cergy Pontoise était à ce point avancé (peu avant une issue fatale) que nous pouvons en rappeler les caractéristiques principales.

  • Caractéristiques des véhicules

Les véhicules consistent en éléments articulés de deux caisses indissociables pouvant être attelées pour constituer des rames.


Rame

Eléments

Longueur hors tout

70 m

35 m

Largeur

2,20 m

2,20 m

Hauteur

3,20 m

3,20 m

Masse en charge

70 t

35 t

Vitesse de croisière

180 km/h

180 km/h

Capacité

160 places

80 places

  • Sustentation et guidage

Assurés pour chaque caisse par des coussins d’air à suspension intégrée alimentée par moto ventilateurs électriques.

  • Propulsion

2 moteurs électriques linéaires de 2e génération produits par le groupe Jeumont Schneider sont montés dans chaque rame. Ils sont alimentés en énergie électrique à fréquence et à tension variables grâce à des convertisseurs embarqués.

  • Freinage

Freinage d’exploitation par récupération d’énergie et freinage de complément par pincement du rail de guidage par un frein mécanique à mâchoires.

  • Voie

La voie est surélevée sur la majeure partie du tracé, dégageant un gabarit de 5 m entre des poteaux distants de 20 à 25 m. Elle comporte une poutre en béton de 5,30 m de largesur laquelle est implanté pour chacune des voies « montante » et « descendante », le rail de guidage qui sert également d’induit au moteur électrique linéaire. Ce rail est en alliage d’aluminium, l’alimentation en électricité est assurée par rails conducteurs latéraux (Courant continu 1500 volts).


Considérations générales

Même si l’éditorial d’un magazine ferroviaire rappelait récemment l’existence éphémère de l’aérotrain en des termes peu élogieux, il n’en reste pas moins que ce dernier détient toujours, 15 ans après, le record mondial de vitesse sur voie guidée. A la novation du système aérotrain s’ajoutait un ensemble d’avantages inconnus jusque lors :

  • Capacité d'accélération et de freinage

Ainsi les performances d’accélération de l’aérotrain I80 1re version (Turbine de 1800 kW) permettaient à celui-ci d’atteindre 200 km/h sur 2000 m en 60 secondes seulement. Par ailleurs, la distance de freinage opérationnelle à partir de la vitesse de croisière (260 km/h) jusqu’à l’arrêt était inférieure à 2000 m avec une distance de freinage d’urgence inférieure à 1000 m.

  • Absence de vibration

A ce niveau surtout se situe la supériorité de l’aérotrain par rapport aux autres moyens de transport terrestre. L’application des normes des Chemin de Fer Nationaux Français conféraient à l’aérotrain une valeur de confort d’environ 10 heures alors que la durée du voyage sur les plus longs itinéraires ne devait pas excéder une heure et demie.

  • Infrastructure économique

D’abord dans ses coûts d’établissement, par ses caractéristiques modulaires et de légèreté mais également par son besoin minime d’entretien de la voie : en 6 années d’existence et des dizaines de milliers de kilomètres parcourus, la remise en état d’une cale qui avait glissé nécessitait seulement quelques heures d’ouvriers.

  • Traînée sonore équivalente au train

Ainsi l’aérotrain I80 2e version émettait un niveau de bruit équivalent et ce à 350 km/h au Capitole roulant à 180 km/h. Il serait vain d’aborder les données économiques d’une exploitation commerciale d’un système qui méritait sa chance en une époque de bouleversements technologiques. A titre d’exemple uniquement, nous rapportons, ci-dessous, les puissances nécessaires pour un voyageur se déplaçant en :


Métro ou RER :

1 kW/voyageur

Train électrique à 200 km/h :

10 kW/voyageur

Aérotrain à 320 km/h :

25 kW/voyageur

Voiture individuelle :

20/50 kW/voyageur (ou plus !).


Du matériel préservé ?

La « deuxième mort » de l’aérotrain pourrait paraître consommée à l’heure où paraîtront ces lignes puisque le TGV Atlantique se sera probablement lancé à l’assaut d’un nouveau record du monde absolu de vitesse et qu’il roulera quotidiennement à 300 km/h sur la ligne Atlantique.
Néanmoins, à l’heure où de nombreux matériels de chemin de fer viennent compléter régulièrement le patrimoine historique, il serait opportun de classer une partie du matériel et des installations de l’aérotrain. Cette préservation serait possible puisque l’intégralité du matériel (2) existe toujours 15 ans après. Des démarches ont été entreprises en ce sens avec l’appui du ministère de la culture (Direction du patrimoine et Région Ile de France). Ce serait, ainsi, le meilleur hommage que l’on puisse rendre au Génie de l’ingénieur Jean Bertin dont la maîtrise technique visionnaire n’a pas rencontré l’audience nécessaire requise pour les grandes réalisations.

Olivier CONSTANT


(1) Bertin et Compagnie demeure, aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires H.T. de 271,4 MF, le leader Européen des sociétés de services technologiques.
(2) L’Aérotrain expérimental 01 sera présenté à Cergy Pontoise à partir du 15 septembre prochain pour les 20 ans de la Ville Nouvelle.



© VOIES FERREES N°52 - Septembre - Octobre 1989



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