Paris Match - 23 août 1969





Paris Match - 23 août 1969, Page 7




Paris Match - 23 août 1969, Page 10

LES VACANCIERS ONT ADOPTE LE NAVIPLANE

Les bateaux-avions de Saint-Tropez vont avoir deux frères. Un petit dans quelques jours sur la Loire. Un grand dans un an pour la Corse.

On dirait une baleine entourée d'un nuage d'écume légère. Passant de l'eau au sable de la plage d'un même élan, le naviplane "la Croisette" arrive à Cannes venant de Saint-Tropez. Avec le même mouvement que celui d'un dromadaire qui s'agenouille pour laisser descendre son cavalier, sa jupe de caoutchouc se dégonfle, s'affaisse et ce n'est plus qu'un gros bateau échoué à même le sol qui dégorge ses quatre-vingts passagers.

"La première fois que je l'ai vu, raconte André Helbert, son premier pilote, trente-six ans, des yeux gris dans un visage très bronzé, je me suis dit : C'est bien gros". Pour lui, c'était une sorte de monstre : 23,50 m de long, 11 m de large, 8 m de haut, 30 tonnes.
Comment le conduire ? se demanda-t-il. A quel examen le soumettre ? murmurent les techniciens. Le naviplane n'est ni avion ni bateau. De toute façon, Helbert a une double qualification : commandant au long cours, il prépare son deuxième degré de pilote d'avion.
Voici enfin André Helbert aux commandes. Rien de semblable à la conduite d'un avion ou d'un bateau. Le naviplane parait n'en faire qu'à sa tête : "Il se comporte, dit Helbert, comme une savonnette dans une baignoire".
Après deux cents heures de vol, le pilotage est devenu pour lui un plaisir. "J'ai l'impression de conduire ma voiture. Je ne suis jamais pris au dépourvu quand il dérape. Il faut lui faire confiance".
Le lundi 3 août, à 6 heures du soir, Claude Pradelle, une étudiante brune aux yeux noisette, arrive aux bureaux du Naviplane à Cannes et demande un billet pour Nice. On se précipite sur elle : "Vous êtes notre dix millième passagère, nous allons fêter l'événement".
Depuis le mois de mai, en planant à vingt centimètres au-dessus de l'eau, les deux naviplanes en service, "la Baie des Anges" et "La Croisette" relient Nice, San Remo, Saint-Tropez, Cannes et Monaco à 100 km à l'heure. Leur clientèle s'accroît lentement : 1993 passagers en mai, 3148 en juin, 4523 en juillet.
Est-ce un succès ?
"Au début, dit André Helbert, je regardais les passagers. Je suis assez physionomiste. Je ne les voyais jamais revenir. Seule la curiosité les attirait".
Depuis trois semaines ils reviennent, la plupart chargés de valises. Les encombrements de la route font au naviplane la plus efficace des propagandes. Lui seul apporte la certitude de ne pas rater l'avion à l'aérodrome de Nice.
Pourtant, il n'en est encore qu'au stade des essais. Un moteur d'avion fait habituellement ses deux cents heures d'essai en laboratoire. Le naviplane, lui, les fait avec des passagers. Mais, à la différence d'un avion, il ne peut tomber. En cas de panne complète, son caisson étanche sous cinq atmosphères de pression lui permet de flotter comme un radeau.
Comme un avion classique, avec ses turbomoteurs de trois mille chevaux, il est bruyant. Rendre le naviplane aussi insonore qu'une cabine de Caravelle ne pose cependant aucun problème technique. Mais le silence coûte cher. Et, sur un prototype, les prix sont serrés.
"Le confort n'a pas été notre préoccupation première, explique Abel Thomas, président de la SEDAM (Société d'études et de développement des aéroglisseurs marins), la société constructrice. Le naviplane n'est pas conçu comme un instrument de tourisme. C'est un instrument utilitaire de transport rapide".

Les Canadiens ont pris une option

Familier des maquis administratifs, Abel Thomas a réussi à intéresser les Pouvoirs publics au dossier de Jean Bertin, l'inventeur du naviplane et de l'aérotrain, a réuni les fonds, créé une société constructrice, sorti enfin, en 1968, le premier prototype, le N 300. Pour ce "rapide des mers", comme l'appelle Abel Thomas, un contrat d'option est déjà signé avec Fiat pour une action commune sur le plan européen.
Dans quelques jours, un autre prototype, le N 102, capacité douze personnes, sillonnera la Loire, pour la visite des châteaux. Petit transporteur rapide, le N 102 assurera l'an prochain la liaison entre les stations du Languedoc-Roussillon. Les Canadiens ont une option pour la licence de cet appareil qui, à 80 kilomètres à l'heure, peut traverser les lacs, remonter les fleuves et glisser sans discontinuité sur la neige et la glace.
L'année prochaine sera celle du N 500 : cent tonnes, 150 kilomètres à l'heure, quarante voitures, quatre cents passagers pour la Corse - quatre-vingts minutes de Nice à Bastia - et l'Angleterre où il entrera en compétition avec l'aéroglisseur Hovercraft déjà installé, lui, sur la Manche.
Sur mer, l'ère de la vitesse a commencé. "Dans quinze ans, dit Abel Thomas, des aéroglisseurs de plusieurs milliers de tonnes traverseront l'Atlantique". Les Américains viennent de comprendre tout l'intérêt de ce nouveau moyen de transport qui ne nécessite aucune infrastructure au sol. La Compagnie Bell Aerosystem étudie un appareil de dix mille tonnes. "Pour la première fois, dit Abel Thomas, la technique française a sur eux une avance de trois ans".

© Paris Match N°1059 - 23 août 1969, pages 7 et 10



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