Le Coussin d'Air et moi…
Une aventure… Des rêves et des souvenirs, une destinée…
Par Michel Piller
…"Dis M'man, quand est-ce qu'il arrive ?"… |
![]() Le Languedoc Roussillon et la Côte d'Azur |
Cette deuxième moitié du vingtième siècle est très riche en événements technologiques majeurs et en aventures humaines. Voici à peine plus d'un an, Neil Armstrong et Buzz Aldrin avaient marché sur la lune et Concorde avait fait son premier vol. Promus alors à un bel avenir, les véhicules sur coussin d'air étaient en plein développement. Sur un rail très spécial, l'Aérotrain faisait ses essais en Ile de France et dans l'Orléanais. Sur la terre et sur l'eau, les Terraplanes et autres Naviplanes avaient depuis longtemps montré leur aisance et leurs possibilités. La conviction de leur potentiel avant-gardiste était alors telle que les nouvelles stations du sud de la France, de par leur architecture novatrice et leur urbaniste résolument orienté vers l'avenir, étaient apparues comme un terrain propice à la promotion de ce nouveau concept de transport, de l'an 2000 comme on se plaisait à le qualifier à l'époque ! |
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Je pense inutile de dire que cette année là, mes vacances furent vraiment très occupées et je n'ai pas dû avoir beaucoup le temps de me tremper dans l'encre bleue du Golfe du Lion, comme le dit le poète ! Levé tôt, très tôt même chaque matin, je ne me rappelle pas avoir manqué un seul des premiers vols. Ces vols très particuliers n'emmenaient pas, à priori, de passager mais si d'aventure quelque volontaire se trouvait à passer par-là, il était en général le bienvenu pour faire un tour, ne serait ce que pour lester l'appareil. |
En contrepartie de ces inoubliables vols en aéroglisseur et des heures passées avec les équipages, je consentais de bonne grâce et sans rechigner à, de temps en temps, passer un coup de jet sur le slip et faire quelques menues basses besognes. Cela arrangeait bien ces messieurs de la SEDAM, et moi, à douze ans cela ne me coûtait rien, bien au contraire. Ce sont certainement parmi les meilleures vacances que j'ai dû passer ! Ce furent probablement les plus insolites en tous cas. |
… Été 1978… Je reviens pour la première fois à La Grande Motte, depuis bien longtemps. Tous les grands projets prometteurs
de la fin des années soixante sont bien mal en point. Certains ont déjà été abandonnés, d'autres sont fortement compromis.
Les missions lunaires du programme Apollo dont vingt étaient prévues se sont arrêtées au vol N°17. Le programme Concorde
est allé au bout de son développement mais aux frais de multiples péripéties et controverses. Il n'est alors pas certain
que les treize avions de série finalement construits soient un jour mis en exploitation. On avait parlé de plus de trois
cents options de commandes. Le Paquebot France, désarmé depuis quatre ans devra encore attendre onze mois pour que prenne
fin cette longue agonie, descente aux enfers aboutie sur le quai de l'oubli, et pour qu'un armateur norvégien le sauve de
la honte et des chalumeaux… Quant aux coussins d'air français, il n'en reste pas grand chose… Jean Bertin est mort depuis
presque deux ans… Notre ami de la SEDAM a disparu, aussi… Les sociétés exploitantes ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes,
presque moribondes. Les machines ont été pour certaines oubliées ou en passe d'être livrées aux ferrailleurs, c'est le cas
des Naviplanes. Pour d'autres elles seront vandalisées et détruites par le feu comme ce fut le cas pour les Aérotrains à
Gometz et à Chevilly… Quant aux archives mieux vaut se servir de nos souvenirs personnels, car il n'en reste quasiment
plus rien, pour le moins en France ! Rien ne va plus avec la marche en avant et les espoirs de voici encore seulement dix
ans qui avaient fait naître tous ces grands chantiers révolutionnaires dans l'histoire des transports. |
![]() La plaquette de l'ARSATI |
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Il faut déjà ralentir avant d'aborder l'aiguille en pointe de la petite boucle. Le pilote sait qu'à bord de ce vol il y a des passionnés. Il nous gratifiera d'un tour supplémentaire pour le plaisir, mais à "seulement" 400 km/h. Aussi facilement qu'il avait accéléré, notre Transrapid 07 s'arrêtera au centimètre près et se reposera plus en douceur que jamais sur son rail en béton. |
… L'an 2000, symbole de modernisme, tant attendu et pour lequel les hommes avaient échafaudé bien des scénarios souvent tous aussi farfelus les uns que les autres, est arrivé. Les grands projets des années soixante ont vécu ! Quand on a eu dix ou onze ans à cette époque, il est difficile de se résigner et de penser que tant de choses aussi extraordinaires que géniales puissent rester sans suite, alors que la technologie est capable de tant de prouesses de nos jours. Il m'est impossible de me convaincre que l'humanité aurait atteint l'apothéose de son génie inventif et de son audace à ce moment là ! Il ne reste de tout cela que quelques photos, des souvenirs et des témoignages diffus… À nous de les perpétuer, nos successeurs doivent savoir… En attendant, en ce début de millénaire, on roule toujours en voiture sur des pneus et avec un moteur quasiment identiques à ceux que l'on utilisait au début de l'ère de l'automobile. Les trains roulent plus vite, certes, mais ce sont pratiquement les mêmes aussi et ce n'est pas le concept pendulaire qui va révolutionner le chemin de fer, loin s'en faut… Les avions ne volent toujours qu'à 800 km/h, le seul, et resté unique en son genre, capable d'aller vraiment plus vite et plus haut que tous les autres ne vole plus depuis le 25 juillet 2000, par décision politique, suite à son premier accident… en trente ans… Quant au projet Transrapid, après quelques espoirs d'une mise en exploitation, il est aujourd'hui aussi controversé et menacé que l'a été l'Aérotrain voici plus de trente ans. 2000 risque d'être une bien mauvaise année dans l'histoire des transports innovants ! Quel dommage, mais l'aventure humaine, elle, reste et restera. |
Les expériences des années passées me font réfléchir et j'en suis troublé… La vie est faite de rencontres, d'événements et
de passions. Parfois des années après, de façon tout à fait inattendue des gens ou des situations apparaissent ou
réapparaissent, présentant des similitudes, des points communs ou des motivations avec d'autres personnes ou événements
passés, et que l'on croyait complètement disparus ou oubliés. Est-ce le hasard qui fait bien les choses ? Est-ce la destinée ?
À moins que nous ne soyons un peu les pilotes de notre propre devenir et de nos passions. Étais-je prédisposé à monter
coûte que coûte dans un engin à coussin d'air ? Ou de rencontrer quelqu'un avec qui je le ferais un jour alors qu'il était
peut-être à peine né quand moi-même je me passionnais déjà pour cela ? Pouvais-je imaginer un seul instant dans ces années
incroyablement intenses pour moi, que celle qui deviendrait mon épouse quelques trente ans plus tard serait la fille d'un
ingénieur de chez Bertin et qui a participé au projet… Aérotrain ! Quel puzzle incroyable ! |